Dérives du service public et facteurs low cost
L’Humanité du
mercredi 12 janvier 2011
Depuis le 1er
janvier, La Poste n’a plus le monopole du courrier de moins de 50 grammes.
Après la privatisation du 1er mars 2010, c’est une étape supplémentaire
dans la dégradation du service public. Qui se traduit aussi par une dégradation
des conditions de travail.
« Au matin du
1er janvier, il n’y a pas grand-chose qui va changer… », a minimisé Jean-Paul Bailly, PDG de
La Poste. Pourtant, c’est bien le dernier monopole historique de La Poste sur
le courrier qui a sauté le premier jour de 2011. Conformément à la troisième
directive postale européenne, les plis de moins de 50 grammes ne sont plus
l’apanage de l’ex-PTT. Les syndicats déplorent cette libéralisation totale des
services postaux. Avec le changement de La Poste au 1er mars 2010, c’est une
nouvelle étape dans la perte de service public. Et
après l’ouverture à la concurrence de l’électricité, du gaz,
du fret ferroviaire…, un choc supplémentaire pour les usagers ou clients.
Surtout en milieu rural, où la présence postale se réduit comme une peau de
chagrin.
Depuis le 18 décembre, les 3 000 âmes du bourg de Plozévet, (Finistère) sont mobilisées derrière
l’unique salarié du bureau de proximité. Les habitants, dont beaucoup sont des
personnes âgées, refusent qu’il soit fermé les lundis matin.
Alain Le Berre,
secrétaire de la FAPT-CGT du Finistère sud, ne comprend pas cette décision. « Le bureau est rentable, il accueille 80 à 90 personnes par jour. Mais la logique de réduire les
moyens partout, de remplacer petit à petit les
vrais bureaux par des agences postales se poursuit. » Déjà cet automne, des grèves avaient été menées contre les suppressions d’emplois de postiers dans différentes
bourgades finistériennes, à Bannalec, Rosporden…
À la tête du
comité de soutien de la poste de Plozévet, Pierre Ferret, retraité de
soixante-douze ans, refuse cet abandon du territoire. Dans ce contexte, la
libéralisation du courrier ajoute une inquiétude. « On peut avoir des problèmes de confidentialité si nos lettres sont distribuées par ceux qui mettent la pub dans les boîtes aux lettres
ou par des facteurs non-salariés de La Poste. Je crains que l’on soit
moins bien desservis… On sait que les attaques contre les usagers se font
toujours en catimini. »
Les campagnes
pourraient payer un lourd tribut. La CGT dénonce la fin de la péréquation entre
les territoires favorisés et défavorisés, ce qui pourrait entraîner une
disparité de tarifs. Comme le souligne Bernard Dupin, administrateur CGT à La
Poste, « on va faire sauter le financement du
recouvrement universel, l’acheminement du courrier en zone rurale va
coûter plus cher. Il va y avoir des différences de services entre les petits
et les gros usagers ».
D’autant que
les nouveaux opérateurs ne devraient pas se ruer sur ces petits marchés, mais
plutôt sur le juteux secteur du courrier d’entreprise. Pour l’heure, une
vingtaine de distributeurs potentiels se sont déclarés à l’Arcep, l’Autorité de
régulation des communications électroniques et des postes. Mais aucun
concurrent de taille n’a émergé. Les tentatives d’Alternative Post et d’Adrexo
en 2009 ont été des échecs. Le premier avait « contourné » la législation pour se positionner sur le marché du petit courrier avant de baisser le rideau, en laissant 50 000 plis en
souffrance d’après SUD PTT ! De son côté, Adrexo s’est recentré sur le marché du colis.
« La Poste avec
son réseau a les moyens de faire taire cette concurrence mais va-t-elle
continuer à maintenir un service de la même qualité en supprimant les postes à
tout-va ? » s’inquiète Alain Le Berre. En réalité, l’ex-PTT est déjà passée à autre chose. Le courrier n’est plus la priorité de développement dans le
groupe, dans le capital duquel la Caisse des dépôts vient d’entrer. La Poste
prévoit 30 % de réduction d’activité pour la
branche courrier d’ici à 2015. Une
baisse en partie due à l’utilisation d’Internet.
Désormais, la priorité est donnée à la Banque postale et au colis, qui
devraient réaliser 55 % du chiffre d’affaires, contre 45 % pour le courrier dans quatre ans.
Le bilan social
de La Poste 2009-2010 donne le tournis. 90 % des embauches en 2009 ont été des contrats précaires. L’objectif est de
supprimer 50 000 postes d’ici à 2015. Dans le
bureau du 2ème arrondissement de Marseille, les 53 salariés et cadres sont mobilisés depuis quatre-vingt-dix-huit jours contre l’emploi précaire. Mais les directions régionale et nationale refusent tout net de
pérenniser les postes.
Pour Alain
Croce, secrétaire de la CGT, ce conflit est révélateur des priorités du groupe.
« Ce qui se passe avec la distribution du courrier pendant cette grève est à l’image de ce que
va engendrer la fin du monopole à l’avenir. La Poste met le paquet pour
desservir les sociétés des docks et les usagers, eux, ne reçoivent leurs
lettres que deux à trois fois par semaine. Elle ne remplit déjà plus son
service public ! » Comme dans le Finistère, les postiers marseillais peuvent compter sur un
élan de solidarité. Un retraité, un ancien cheminot, est venu du Vaucluse en
train pour leur apporter un chèque de 2 500 euros.
Des soutiens
qui évoquent la mobilisation populaire de la votation citoyenne contre la
privatisation de La Poste. En octobre 2009, elle avait recueilli plus de 2 millions de votes contre la privatisation
du service public.
Jeudi dernier,
les postiers du bureau du 2e arrondissement marseillais sont allés à la
rencontre de leurs collègues employés du bureau Colbert. L’agence historique du
centre-ville de la cité phocéenne, depuis 1891, a fermé ses portes ce même
jour.
Une décision
hautement symbolique pour Alain Croce : « Les salariés sont victimes des restructurations à La Poste de Marseille. Le service public a été chassé du centre-ville. Le
personnel dispersé. La population plutôt défavorisée du centre devra aller voir
ailleurs. Sinon, dans le nouveau bureau, ces personnes qui ont besoin de
conseils se retrouveront face à des automates. La Poste n’a que faire des
usagers des zones urbaines sensibles (ZUS). »
Déjà plombés
par le plan « facteur d’avenir » qui découpe les tournées de courrier et engendre des heures supplémentaires
monstrueuses, les syndicats craignent aussi la mise en place d’un « facteur low cost » (1) avec la fin du monopole. Nicolas Galépidès, responsable fédéral chez SUD
PTT, n’y va pas par quatre chemins. « Quand on voit ce qui se passe dans les autres pays, comme les Pays-Bas avec
des facteurs en statut d’autoentrepreneur, pas de smic, ça fait
peur. Pour éviter que cela nous arrive, il faut installer des conventions de
branches pour barrer la route à ces dérives. La Poste agite le chiffon de la
libéralisation pour supprimer des emplois. Il y a peut-être moins de courrier
mais ce n’est pas pour autant que la tournée du facteur va plus vite. Il faudra
toujours qu’il passe six jours sur sept ! » Pour la direction de La Poste, ces craintes de dégradation de service public sont infondées. « Avec la fin du monopole sur le courrier,
il n’y a absolument pas de remise en cause de notre mission. Mais c’est un
changement historique et on ne peut pas dire ce qu’il en sera demain pour les
usagers. »
(1)
À bas coûts.